C’est quoi l’effet Dunning-Kruger ?

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C’est quoi l’effet Dunning-Kruger ?


C’est quoi l’effet Dunning-Kruger ?

Ou une autre façon de penser le « syndrome de l’imposteur ».

Comment se fait-il que les personnes les plus compétentes soient aussi celles qui ont le plus tendance au complexe d’imposture… Et inversement que les personnes les moins qualifiées sur un sujet soient les plus péremptoires quand elles donnent leur avis, voire les plus audacieuses quand il s’agit de s’en emparer ?

Si vous faites partie de la deuxième catégorie, vous pourriez être tenté·es de répondre à la façon d’Audiard « Les c***, ça ose tout. C’est même à cela qu’on les reconnait ». Sinon, on vous invite à découvrir l’effet Dunning-Kruger.

C’est l’histoire d’un bandit très sûr de lui…

Les psychologues David Kunning et Justin Kruger commencent à s’intéresser à la thématique de la surconfiance en étudiant le cas d’un braqueur de banque qui ayant entendu dire que le jus de citron avait été utilisé comme encre sympathique, décida de s’en couvrir le visage… Pour devenir invisible.

Le braquage a foiré, cela va sans dire. Mais il y a effectivement de quoi se pencher sur la psychologie d’une personne qui est prêt à mettre sa vie et sa liberté en jeu au nom d’une croyance aussi stupide. Mais faut-il interroger la personnalité de l’individu qui serait doté d’une formidable confiance en soi ou bien faut-il plutôt s’intéresser aux effets du niveau d’ignorance/de connaissance sur les comportements ?

Darwin avait-il raison ?

Il faut alors aller vérifier l’hypothèse de Charles Darwin selon laquelle « l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance ».

Pour en avoir le cœur net, les psychologues soumettent quatre groupes d’étudiants à des tests en différentes disciplines : la logique, la grammaire et même le sens de l’humour. Ils leur ont ensuite demandé si, dans ces domaines, ils se pensaient meilleurs ou moins bons que les autres membres du groupe.

Les résultats sont parlants : ceux qui obtiennent les pires résultats sont aussi ceux qui surestiment leur place dans le classement… Et ceux qui obtiennent les meilleurs résultats tendent au contraire à penser qu’ils sont moins bons que les autres.

Pour ces travaux, Dunning et Kruger remportent le Prix Ig-Nobel, version parodique de la célébrissime distinction de l’Académie suédoise qui distingue les recherches apparemment débiles qui conduisent à se poser des questions intelligentes.

De quel biais la surconfiance est-elle le nom ?

C’est qu’elle est très pertinente, cette question du lien entre incompétence et confiance en soi. Elle renvoie à un biais cognitif rapprochable de l’illusion de savoir, de l’aversion de la dépossession et du biais d’autocomplaisance.

Rappelons pour chacun de quoi il s’agit :

  • L’illusion de savoir est un biais qui consiste à considérer que l’information sur une situation dont on dispose suffit à appréhender cette situation ;
  • L’aversion de la dépossession est un biais qui amène à considérer que ce que l’on possède a plus de valeur que ce que l’on ne possède pas (on croit que ce que l’on sait est plus important à savoir que ce que l’on ignore encore) ;
  • Le biais d’autocomplaisance qui consiste à s’attribuer ses succès et à reporter ses échecs sur des causes externes.

L’effet Dunning-Kruger, dit aussi biais de surconfiance se situe en effet au croisement du rapport à la connaissance et du rapport à l’estime de soi.

Notre rapport à la connaissance

Pour ce qui est de notre rapport à la connaissance, on peut distinguer cinq phases :

  • L’ignorance complète: on ne sait tellement rien d’un sujet que l’on ne s’aperçoit pas que l’on ne sait pas. Si l’on est interrogé dessus, on répond de façon péremptoire, en s’en référant à ses croyances et intuitions.
  • L’ignorance inconsciente: on sait peu de choses d’un sujet, si bien qu’on ne le considère pas comme un objet de connaissance. On compte sur son bon sens et ses observations pour porter un point de vue.
  • La connaissance suffisante: on sait des choses sur un sujet et on l’on croit que ce que l’on sait suffit à en embrasser la totalité et la complexité. On compte sur ses acquis pour donner des réponses pertinentes, sans envisager qu’il y a plus à savoir que ce que l’on sait déjà.
  • La connaissance en développement: la connaissance que l’on a du sujet nous fait prendre conscience de la profondeur de celui-ci et subséquemment de toute l’étendue de ce qu’il nous en reste à apprendre. On hésite à prendre position sur le sujet, se sentant largement plus incompétent que compétent à l’adresser.
  • Le savoir: on sait de plus en plus de choses sur le sujet, on l’approfondit incessamment et on sait en s’emparant du sujet que l’on est légitime à le faire même si on ne pourra jamais complètement l’épuiser.

Cette grille des phases du rapport à la connaissance nous indique déjà que celui qui parle sans savoir n’est pas tant un cuistre content de soi qu’un individu dont l’horizon de la réflexion est (pour l’instant) limité au niveau d’information dont il dispose. Quand il accèdera à davantage de connaissances, il y a de grandes chances pour que sa conviction d’être parfaitement compétent s’érode un peu… Au profit d’un gain d’humilité !

Le jeu de l’estime de soi dans la perception de la compétence

Ce que les phases du rapport à la connaissance nous permettent d’entrevoir, c’est que notre sentiment d’être compétent ne dépend que partiellement de notre niveau réel de compétences. Oui, mais voilà, le sentiment d’être capable est une composante clé de l’estime de soi. Il est donc assez logique que celui/celle qui est au sommet de la « montagne de la stupidité », selon le mot de Dunning & Kruger ait une excellente estime de soi. Ignorant tout de son incompétence, il/elle a l’égo bien au chaud.

Mais celui/celle qui commence à prendre conscience des compétences qui lui manque plonge à l’inverse dans « la vallée de l’humilité ». Son estime de soi peut s’en trouver fortement déstabilisée. Il/elle sera prompt·e à freiner devant les challenges, à se montrer prudent·e voire à décourager les autres de lui faire confiance.

Après cette phase de prise en considération de l’étendue de son incompétence, l’individu renoue avec la confiance en soi à force de développement de ses compétences. D’apprentissages en expériences, de satisfactions en succès, il se rapproche du « plateau de consolidation » qui le mènera toujours moins haut en termes d’autosuffisance qu’il ne l’a été au sommet de « la montagne de stupidité » mais le conduit vers des assises plus solides d’estime de soi.

Revoir notre approche du syndrome de l’imposteur

L’effet Dunning-Kruger est alors une invitation à repenser nos approches du syndrome de l’imposteur. Longtemps, on a attribué ce complexe aux femmes, leur reprochant d’attendre d’avoir toutes les compétences ou presque pour candidater à un poste à responsabilités, tandis que les hommes sauraient eux, se contenter de 40% ou 50% des compétences. Et d’envisager que cet écart genré de comportements tiendrait à la psychologie féminine ou au poids des stéréotypes qui les pousseraient à se sentir inférieures.

Et si tout simplement, les femmes n’étaient pas dans la même phase du rapport à la compétence que les hommes quand on vient les chercher pour des fonctions de leadership ? Aussi, leur humilité quand elles refusent des jobs en déclarant ne pas se sentir capables, ne dirait pas que les femmes sont foncièrement moins promptes à l’audace. Elle dirait plutôt que leur parcours de vie, personnelle et professionnelle, les conduit plus précocement que les hommes à prendre conscience de ce qu’elles ne savent pas. Le fait d’avoir davantage que les hommes à prouver qu’elles sont capables, à justifier de leur expertise, à convaincre qu’on peut leur faire confiance les conduirait à davantage se poser la question des compétences avant de se lancer…

La clé pour en finir avec le complexe d’imposture ne se trouverait donc pas tant du côté de la confiance des femmes à renforcer que de la généralisation, chez les femmes et les hommes, de la saine introspection sur la légitimité. Finalement, il s’agirait de donner à tou·te·s ce sentiment que la place n’est pas acquise… Et cela pourrait aussi faire du bien à nos entreprises !

Marie Donzel, pour les webmagazines EVE & OCTAVE

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