L’intelligence collective appelle l’intelligence émotionnelle
L’intelligence collective appelle l’intelligence émotionnelle
.
Pensez-vous que vous savez écouter ? Est-ce que ce qui suit vous est déjà arrivé ? En réunion, je veux placer une idée. J’attends l’interstice de silence qui me permet de m’engouffrer et dire ce que j’ai à dire. « Ouf, j’ai parlé ! J’ai été vu ! » Et pourtant, j’ai à peine écouté ce qui s’est dit avant et très probablement qu’une fois le petit coup de fouet d’adrénaline retombé, je n’ai pas vraiment écouté ce qui s’est dit après. Bref, un échange on ne peut plus courant dans les organisations : je fais valoir une idée et je la défends. J’essaie d’emporter l’adhésion, je crée des alliances pour faire pencher la balance.
En intelligence collective, je vais expérimenter une autre manière d’être en interaction, en dehors des jeux d’égo. Je vais développer ma capacité à me laisser infuser par la parole de ceux qui ont parlé avant moi. Ce qui a été dit avant moi est un marchepied et ma parole elle-même est un marchepied pour les personnes qui prennent la parole après moi. De fait, il devient presque impossible d’identifier qui est l’auteur de l’idée qui a été retenue par le groupe, tant elle aura été malaxée. C’est une œuvre collective.
Je suis convaincu qu’un temps d’intelligence collective sans intelligence émotionnelle n’est qu’un processus (un de plus !) tandis qu’un temps d’intelligence collective nourrie d’intelligence émotionnelle contribue à un changement de paradigme au sein des groupes, des organisations : la qualité de ce qui est produit ensemble est déterminé par la qualité des interactions et le niveau de bien-être du collectif. En soi, rien de révolutionnaire … et pourtant, nous en sommes loin !
Combien de séminaires de conduite du changement avez vous fait ? Probablement un paquet ! Avez-vous vu des résultats tangibles et durables ? Le soufflé est-il retombé quelques semaines plus tard ? Les freins et résistances sont connus. On fait semblant d’y croire mais on sait qu’au final, cela ne changera pas grand chose. Parmi ces freins, il y a le système pyramidal présent dans une écrasante majorité d’organisations. Est-ce que le manager, le dirigeant est prêt à faire confiance à l’intelligence collective ? « Wow ! Attendez une minute ! Et si le résultat ne me convient pas … Je suis le chef, après tout ! » De manière frontale, cela donnera un « C’est moi qui décide ! ». De manière plus feutrée, cela donnera en pensée : « De toutes les manières, je m’arrangerai pour avoir le dernier mot. »
Les pratiques d’intelligence collective sont probablement les pratiques les plus pertinentes pour produire en un temps record de la matière utile (réorganisation, création d’un produit, nouvelles manières de travailler …) et, en même temps, créer de la cohésion et du bien-être au travail. Pourtant, le collaboratif peine à s’installer dans les organisations. Pourquoi ? Parce que cela demande de mettre son ego au placard et de faire confiance. Quand vous avez passé une vie entière à atteindre un poste à responsabilité, et que l’on vous demande de vous couler dans une approche horizontale, ce n’est pas évident; pas évident du tout. C’est pourquoi, sans facilitateur externe et accompagnement en mode coaching pour travailler le lâcher-prise, la gestion des émotions, les notions de vulnérabilité et puissance, je crains que cela ne soit voué à l’échec.
Pour que des pratiques collaboratives soient tangibles et durables, elles nécessitent un travail sur soi : de la part du manager/dirigeant comme de chacun des membres du groupe. Et pour les facilitateurs aussi ! Comme pour un coach professionnel, je recommande une supervision et un travail thérapeutique. Il ne s’agit pas de parasiter l’intelligence collective par ses propres casseroles. Le facilitateur, par sa posture, joue un rôle essentiel. Il incarne, il modélise une manière d’être en relation avec l’autre. Et ainsi, il permet aux présents d’explorer l’interrelationnel autrement.
Mais alors, comment amener l’intelligence émotionnelle au cœur de l’intelligence collective ? Mon approche repose sur l’intégration de pratiques d’intériorité au sein même des temps d’intelligence collective. Il s’agit, par exemple, de méditation, relaxation, mouvement intuitif, sons spontanés.
La reconnexion au corps et aux ressentis est essentielle. Inutile de renforcer la partie « mental » des participants. Elle est déjà bien nourrie au quotidien. Par contre, comprendre que l’on peut contribuer à partir d’un ressenti du corps est souvent nouveau. J’ai entendu plusieurs fois, notamment dans des milieux industriels, des managers qui disaient en cercle de clôture à leurs collègues : « J’ai découvert que j’avais un corps, que mon corps me parle et que je peux lui faire confiance, y compris dans un cadre professionnel ». Puissant !
Pourquoi autant de pratiques différentes ? Je ne sais pas à l’avance quelle sera la porte d’entrée qui permettra à un participant de réussir à connecter avec ce ressenti du corps : pour certains la méditation est trop connotée, et la résistance est trop forte, pour d’autres c’est le travail autour du mouvement ou de la voix qui bloque. En offrant plusieurs portes d’entrées, je multiplie la possibilité d’une connexion au corps.
Ce travail questionne la notion de présence : à soi-même et aux autres, à tous les stades du travail collaboratif engagé. Il nous aide à retrouver ce lien essentiel entre la tête (qui pense), le cœur (qui ressent) et les mains (qui agissent). C’est la fameuse connexion « tête-cœur-corps » ou « tête-cœur-mains » dont les recherches en neurosciences nous ont allègrement démontré la pertinence. Si j’établis cette connexion, alors je produis une forme de cohérence intérieure, je ressens du sens associé à ce que je fais, ce que je produis.
Par extension, en amenant les pratiques d’intériorité au cœur des pratiques d’intelligence collective, c’est bien l’intelligence émotionnelle du collectif, du « nous », qui est renforcé. La performance n’est alors plus un but en soi mais un bénéfice indirect, né d’un espace de sécurité, de confiance et d’authenticité.
Tout n’est pas si simple pour autant ! L’invitation à des pratiques d’intériorité peut parfois provoquer des réactions violentes : « Je suis très en retard dans mon travail, je fais l’effort de venir et tu me demandes de méditer ? Je perds mon temps !!! ». C’est là qu’intervient le travail « méta » (pour métacognition). C’est la capacité à s’observer et à observer le collectif en action. En observant ce qui s’est joué alors l’émotionnel réactif s’apaise, et je peux consciemment challenger mes résistances. Parmi les outils pour renforcer la méta, il y a le journaling (temps individuel d’écriture) et le feedback.
***
Souvent, je rencontre des personnes qui ont goûté à l’intelligence collective d’une manière très indigeste, voire déshumanisante. Ensemble, réenchantons l’intelligence collective ! En considérant le collaboratif comme un parcours de développement personnel à part entière, nous pourrons faire passer le bien-être de nos collègues avant l’EBITDA, tout en bénéficiant d’une haute performance.
Il ne s’agit pas de foncer tête baisser d’un modèle pyramidal vers une organisation plate responsabilisante, mais dans un premier temps de pouvoir collaborer et créer ensemble, en sécurité, en dehors des jeux d’égo. La période unique que nous traversons nous dit que, de gré ou de force, nous sommes en chemin. Je fais le vœu que l’intelligence émotionnelle soit au cœur des organisations collaboratives de demain, dans un monde où les priorités se seront (enfin !) recentrées sur l’humain et l’apaisement de son lien au vivant.
Executive Coach, Facilitateur, Formateur, Superviseur, Auteur, Conférencier
Juriste et communicant de formation, Thomas a travaillé dans la coopération internationale puis le développement durable avant de se consacrer à l’accompagnement des dirigeants, des équipes et des organisations. Thomas pratique la Mindfulness au quotidien depuis de nombreuses années. Fort d’une validation par les neurosciences des bénéfices de cette pratique, il a choisi de la mettre au coeur de son métier. Thomas aime à créer des liens entre différentes approches complémentaires du métier d’accompagnant. Il est co-auteur du livre « L’intelligence collective : co-créons en conscience le monde de demain » (Ed. Yves Michel)
https://www.linkedin.com/in/thomasgerard/
Méditation de l’enfant intérieur avec Petit Bambou
http://www.mindfulintelligence.com/audio.html
https://www.facebook.com/thomas.e.gerard/videos/10157437633507606/
***
Article publié dans sa version longue dans l’ouvrage collectif « Regards croisés sur l’Intelligence Collective », sous la direction de Jean-Marc Deltorm, Andrey MiKaëlian et Evelyne Pichenot, et édité par l’Association des Auditeurs de l’Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie (IHEST).
Lien vers la version longue http://www.mindfulintelligence.com/livreregardscroises.html
Share this Post