Le nombre de Dunbar résiste-t-il aux transformations technologiques ?
Le nombre de Dunbar résiste-t-il aux transformations technologiques ?
Ou comment entretenir des relations humaines stables à l’ère méta ?
Combien avez-vous d’amis ? Si vous en croyez vos profils sur les réseaux sociaux, voyons voir, cela ferait… Mais si vous faites le compte de tête, ce serait plutôt…
On met aussi les copains qu’on ne voit plus ? La famille, on la sort ou bien ? Et les collègues ?
Pour répondre à cette question, il y a l’approche philosophique et morale qui interroge le sens profond de la relation. Il y a aussi l’approche neuro-mathématiques qui se propose de mesurer les dimensions de notre sociabilité à l’échelle des capacités de notre cerveau. C’est ce qui donne le nombre de Dunbar. Explications et décryptage.
Robin Dunbar, biologiste des liens affectifs
Anthropologue et biologiste de l’évolution, le Pr Robin Dunbar a consacré toute une partie de sa carrière à étudier les comportements des primates avant de s’intéresser à partir des années 2000 aux relations humaines, et tout particulièrement à l’amitié.
Ce sentiment si particulier, a priori à l’écart des lois de la reproduction entre autres nécessités mises en évidence par les spécialistes de l’évolution, a-t-il sa biologie ? Réponse affirmative : les liens affectifs non reproductifs sont fondamentaux pour la santé et la longévité. Manquer d’amis constitue un risque accru de développer toute une série de syndromes, à commencer par la dépression et l’ensemble des affections physiques et psychiques qui l’environnent. Manquer d’amis précarise aussi les chances de guérison en cas de maladie.
Mais peut-on avoir trop d’amis ? Ca, c’est impossible, répond le Professeur car la limite se situe à 150 !
Le néocortex a ses limites
C’est en 1992 que Dunbar fait paraître un article scientifique dans lequel il établit à 150 le nombre de relations stables qu’un humain peut entretenir simultanément. Son calcul procède du rapprochement entre la taille du néocortex d’une espèce et la dimension moyenne des groupes d’individus qui composent cette espèce. En synthèse, plus le cerveau est gros, plus on est capable de créer de gros groupes sociaux.
Mais comment est-ce possible puisque nous sommes capables de reconnaître environ 1500 visages ? Parce qu’identifier des individus et être en relation avec eux, ce n’est pas la même chose ! Ce qui fait la différence, c’est le langage. Ainsi Dunbar définit-il les relations humaines stables par le spectre des personnes que l’on connait et auxquelles on parle de façon différenciée (c’est-à-dire que l’on ne dit pas la même chose à chacun·e).
Le nombre de Dunbar sous les feux de la critique
Bon d’accord, Dunbar avait peut-être raison au XXè siècle, du temps où l’on n’avait pas de réseaux sociaux, pas de visios, pas d’outils collaboratifs en ligne, pas toutes les solutions technologiques que l’on connait aujourd’hui pour entretenir facilement des relations. Désormais, on prend des nouvelles de ses ami·es par SMS et autres applis de messagerie instantanée, on commente leurs posts sur les réseaux sociaux, on peut travailler ensemble en même temps sur un document même si l’on n’est pas sur le même fuseau horaire, on peut même faire entrer dans son groupe social des personnes que l’on n’a jamais rencontrées mais desquelles on devient plus familier·e que de certains proches, à force d’échanger des messages, de partager des hobbys, de jouer ensemble, d’investir des sentiments…
Dans l’absolu, il apparait donc possible de dépasser le nombre de Dunbar. Aussi, certaines critiques pointent le caractère dépassé d’une théorie de la dimension des groupes sociaux qui ne résisterait pas à la diversification des canaux relationnels. D’autres complètent en arguant de la plasticité du cerveau qui permet précisément à notre cerveau d’adapter son fonctionnement aux évolutions des contextes.
Mais la critique la plus vive du nombre de Dunbar concerne l’hypothèse même du rôle déterminant du néocortex. Pour le primatologue Lindenfors, ce qui détermine principalement la taille d’un groupe, ce sont les conditions écologiques dans lesquelles les individus évoluent. Plus rares sont les ressources, plus resserrés sont les groupes, voilà tout !
Des groupes humains à taille humaine
Bien que contesté, le nombre de Dunbar a inspiré un certain nombre d’experts des organisations qui estiment que pour qu’un collectif de travail fonctionne, il doit être à taille humaine de façon à ce que chacun·e puisse connaître ses collègues et investir la relation avec tou·tes. L’exemple le plus emblématique de cette approche est celui de la société Gore-Tex dont chaque entité ne dépasse pas 150 collaborateur·ices. Largement étudié, ce cas d’étude a fait ses preuves en matière de fluidité de l’information, de qualité de vie au travail, d’efficacité du management, de potentiel d’innovation et d’engagement.
On a donc la réponse à une vieille question : oui, la taille compte ! Mais ça ne fait pas tout : en plus d’être à taille humaine, une organisation a aussi besoin pour fonctionner d’être à visage humain, c’est-à-dire de porter une grande attention aux besoins physiologiques et psychiques des individus et d’œuvrer à la cohésion et au vivre-ensemble par tout un ensemble d’actions coordonnées.
Marie Donzel, pour les webmagazines EVE & OCTAVE
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