Changement de niveau 1 ou de niveau 2 ?

Octave A la Une, Développement Personnel, Leadership, Webmagazine Octave

Changement de niveau 1 ou de niveau 2 ?


Changement de niveau 1

ou de niveau 2 ?

« Il faut que tout change pour que rien ne change » dit le personnage principal du roman et film Le Guépard, afin de rassurer ses amis aristocrates sur le fait que l’avènement de la République ne déstabilisera pas vraiment leur position dans la société.

Voilà ce que l’anthropologue Gregory Bateson appelle un changement de niveau 1 ! Rien à voir avec le changement de niveau 2. On vous explique tout sur les différents niveaux de changement.

 

Le changement comme un processus d’apprentissage

C’est dans son ouvrage Vers une écologie de l’esprit, paru en 1972, que Bateson établit la distinction entre différents niveaux de changement.

A noter pour commencer que chez Bateson, les notions de changement et celle d’apprentissage sont étroitement liées, si ce n’est carrément interchangeables : il voit en effet le changement comme un processus d’acquisition de savoirs et comportements. Changer, c’est changer de point de vue (comme celui qui acquiert de nouvelles connaissances), changer de façons de faire (comme celui qui se forme à de nouveaux savoir-faire), changer de postures (comme celui qui déploie son agilité), changer de modes d’interaction (comme celui qui élargit ses voies de communication), changer de position dans l’environnement (comme celui qui fait mûrir son intelligence situationnelle)…

Aussi, changer nous demande la même intensité d’efforts que d’apprendre. Et surtout, cela demande chez ceux qui pilotent le changement une compréhension des mécanismes psycho-cognitifs qui favorisent ou bien freinent les apprentissages.

 

Le changement comme processus conséquent… Ou pas !

Comme l’apprentissage est supposé transformer l’individu, le changement doit porter à conséquence sur le réel. Mais ça ne marche pas tout le temps. Certains changements ont cette faculté paradoxale de… ne rien changer. On les appelle changements homéostatiques ou changements de niveau 1.

Quand le changement ne vise pas ce qu’il faut changer

Souvent suscités par une situation d’inconfort voire de crise, ces changements se traduisent par des aménagements de certaines modalités identifiées comme non-satisfaisantes. Par exemple, quand il y a une mauvaise ambiance dans une équipe, on l’attribue à un faible niveau de convivialité et à des insuffisances du management dans la capacité à faire coopérer les un·es et les autres. Alors, on décide d’installer des rituels de convivialité en même temps que l’on propose un coaching au management et des ateliers « vivre et travailler ensemble » aux collaborateur·ices. Il semble que ça marche : les gens se parlent, ils se montrent bienveillants, ils sont disposés à participer à des projets collectifs. Mais voilà que les conditions deviennent stressantes et alors, les rapports se tendent, les comportements (re)deviennent individualistes, l’ambiance se dégrade jusqu’à revenir au même point qu’avant. Les changements n’ont rien changé. Souvent, l’inefficacité des mesures prises en vue du changement procède d’une mauvaise évaluation de la situation et des vraies causes à traiter.

Quand les acteurs du changement n’arrivent pas à se l’approprier

Mais il peut aussi arriver qu’en dépit d’une bonne analyse de la situation, le changement ne produise pas d’autres effets que de reproduire un état semblable à celui qui précédait. En ce cas, les bonnes réponses ont été apportées mais leur appropriation par les parties prenantes n’a pas fonctionné. Alors, ces parties se sont adaptées pour « donner le change » mais en réalité, elles contournent le dispositif transformateur pour retrouver une zone de confort.

Prenons un exemple : une gouvernance d’entreprise a besoin de se diversifier, notamment pour atteindre des objectifs de parité. Une bonne analyse de la situation a été faite : pour attirer des femmes aux fonctions à responsabilité, la gouvernance en place doit faire évoluer ses critères d’appréciation du leadership et ses façons de fonctionner. Les hommes qui sont en place sont tous d’accord sur le principe : la mixité est source de performance, la parité est une nécessité et cela fera du bien à tout le monde de faire évoluer la culture du pouvoir dans l’organisation. Mais dans la pratique, les nouvelles modalités supposées permettre l’accession des femmes au pouvoir dérangent vraiment les hommes en place : elles mettent en cause leur légitimité, elles contestent leurs habitudes, elles mettent en cause leurs visions voire leurs valeurs. Alors, tout en conservant un discours d’adhésion à la parité et en adoptant une certaine discipline quant aux pratiques exigées par le plan de transformation, ils créent une sorte de CoDir « off » : ils discutent des sujets stratégiques entre eux, de façon informelle et sans malveillance, si bien qu’ils arrivent en réunion en ayant déjà formulé une vision partagée et construit des systèmes d’alliance par effet d’entre-soi. Un peu comme avant, mais ça se voit moins ! Ici, l’inefficacité du changement est à mettre au compte de l’insuffisant accompagnement du process de transformation dans ses dimensions systémiques, c’est-à-dire jouant concomitamment sur la posture des individus, les dynamiques collectives et la culture organisationnelle.

 

Le changement de niveau 2 : un changement de paradigme

Pour que le changement produise des transformations, il faut qu’il touche en profondeur le système. C’est ce que Bateson appelle le changement de niveau 2.

Ce type de changement vise la modification des dynamiques qui président aux situations insatisfaisantes. Reprenons l’exemple de notre CoDir principalement masculin, plutôt bien disposé quant à la parité mais peinant, dans les faits, à jouer le jeu. En changement de niveau 2, il ne va pas suffire de nommer des femmes dirigeantes et de les convier aux réunions de l’instance, mais il va falloir se pencher sur toute la problématique de l’entre-soi des hommes dans l’organisation. Se poser autant de questions (parfois dérangeantes) que : qu’est-ce qui favorise cet entre-soi, quels sont les signaux de reconnaissance qui s’y manifestent, qu’est-ce qui le rend confortable, quels avantages y trouvent ceux qui en sont, comment cet entre-soi se recompose-t-il aussi dans les espaces-temps informels de la vie d’entreprise, etc. ? Et c’est en répondant à ces questions par des solutions qui rendent plus inconfortables la tentation de l’entre-soi que la participation engagée au mouvement de parité que l’on va obtenir une parité performante.

Le changement de niveau 2, c’est donc celui qui permet d’atteindre un « après » qui ne laisse pas place à la recomposition de « l’avant » dont on a voulu se défaire. Il suscite nécessairement des phases d’apprentissage, pour qu’opèrent concomitamment l’adhésion des parties prenantes et l’alignement entre les intentions, les pratiques et les résultats.

 

Quelques exemples pour distinguer niveau 1 et niveau 2

Voici pour finir quelques exemples pour retenir les apports de Bateson.

En matière de changement climatique. Remplacer la voiture thermique par la voiture électrique en faisant le même nombre de kilomètres/an (voire davantage, au risque du Paradoxe de Jevons), c’est du changement de niveau 1. Diversifier ses modalités de transports et réduire globalement ses trajets, c’est du changement de niveau 2.

En matière de partage des tâches domestiques. Passer d’une situation où l’un·e ne fait presque rien et l’autre presque tout à une situation où celui/celle qui fait presque tout distribue des tâches à faire à l’autre, c’est du changement de niveau 1 (et de la charge mentale pour celui/celle qui délègue). Que chacun·e se responsabilise pleinement quant au management des affaires du foyer, c’est du changement de niveau 2.

En matière de management à distance. Passer d’une situation de travail sur site à une situation de travail à distance où les mêmes réunions se passent en présentiel ou en visio, c’est du changement de niveau 1. Faire de la diversification des lieux de travail un chantier de transformation globale des méthodes de travail, c’est du changement de niveau 2.

 

Marie Donzel, pour les webmagazines EVE & OCTAVE

Share this Post