Intergénérationnel : faites la différence entre « effet d’âge » et « effet de génération »

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Intergénérationnel : faites la différence entre « effet d’âge » et « effet de génération »


Intergénérationnel : faites la différence entre « effet d’âge » et « effet de génération »

Ah les nouvelles générations… « Les jeunes d’aujourd’hui, ils sont comme ci et comme ça… ». Mais oh ! On en parle des anciennes générations ? Non, parce que « les boomers, dans le genre ceci… » et « les X sur cela… » !

La conversation sur les générations ne fait pas l’économie de nombreux stéréotypes. Pour les désancrer, on peut commencer par faire la part des choses entre ce qui appartient à « l’effet d’âge » et « l’effet de génération », une utile distinction établie par les sociologues spécialisé·es dans les questions intergénérationnelles.

L’effet d’âge

On appelle effet d’âge l’ensemble statistiquement observable des marqueurs liés à une période de l’existence des individus, indépendamment de tout contexte historique.

Par exemple, l’apprentissage de la marche entre 10 et 18 mois est un effet d’âge. Devenir parent entre le début de la vingtaine et le début de la quarantaine est un effet d’âge. Avoir plus souvent mal aux articulations après 50 ans est un effet d’âge.

Mais l’effet d’âge ne concerne pas que les variables physiologiques. On n’a pas les mêmes besoins, pas les mêmes envies, pas les mêmes façons de voir les choses aux différents âges de la vie. Ainsi, selon les périodes de l’existence, on préfère des activités toniques ou des activités plus calmes, on a besoin de plus ou moins de confort, on a un réseau de relations plus ou moins dense… On observe par exemple qu’avant 25 ans, les individus sont connectés à un très grand nombre d’autres individus, tandis que le réseau social des individus de plus de 60 ans tend à être resserré autour d’un nombre plus restreint de piliers relationnels.

L’effet de génération

L’effet de génération représente tout ce qui appartient à une cohorte d’individus du fait d’un vécu commun, historiquement ancré.

Par exemple, les personnes nées à la fin des années 1940 et au début des années 1950 (les fameux « baby-boomers ») ont été socialisées, en tout cas en Occident, dans l’opulence des Trente Glorieuses, et avec elles dans la confiance dans le progrès technologique et dans une certaine croyance de l’infinitude des ressources. Elles ont connu un avant-après entre le pouvoir incontesté des autorités institutionnelles (les parents, le patron, les élus, la police…) et le partage des voix au chapitre. Elles ont vécu la « libération des mœurs » des années 1970 comme une victoire etc.

Pour les « millenials », socialisés dans une période de crises économiques, écologiques, géopolitiques et sociales à répétition, croire que les ressources sont infinies et que le progrès technologique peut tout résoudre, cela relève de l’inconscience ! Et concernant les mœurs, ces mêmes « millenials » font davantage confiance à la conscientisation des biais, à l’attention portée aux minorités et au mouvement #MeToo pour faire progresser la société qu’au bon droit à jouir sans entraves ! Mais les plus âgés les trouvent furieusement « politiquement corrects ». On est en plein dans les effets de génération.

Et l’effet de période, alors ?

Il faut encore prendre en compte l’effet de période qui peut toucher tous les âges et toutes les générations et influencer l’ensemble d’une population touchée par des événements ou des changements d’importance.

Par exemple, la Deuxième Guerre mondiale a marqué toutes les cohortes qui l’ont vécue : ceux qui étaient enfants à cette période, ceux qui étaient jeunes adultes, les plus âgés etc. Idem pour la révolution technologique du tournant du XXIè siècle ou plus récemment, pour la pandémie de CoViD.

L’effet de période n’annule pas les effets d’âge et de génération. On ne vit pas une guerre, une révolution, une pandémie de la même façon si l’on a 5 ans, 20 ans, 50 ans, 70 ans ou 90 ans quand elles se produisent. On ne les vit pas non plus de la même façon selon sa génération. Par exemple, la pandémie de CoViD et toutes ses implications ne représentent pas le même vécu pour ceux qui ont déjà connu des périodes de couvre-feu (par exemple, les plus âgés qui ont vécu l’Occupation), pour ceux qui ont la liberté de circuler chevillée au cœur de leurs valeurs (par exemple, ceux qui étaient jeunes adultes dans les années 1980, à l’époque de la densification du trafic aérien, de la baisse de prix des voyages et de l’explosion du tourisme de masse) et pour ceux qui sont familiers des outils numériques (et pour lesquels se connecter à une appli pour se faire vacciner ne représente aucune difficulté et travailler en mode hybride pas vraiment non plus) etc.

En pratique

Maintenant que vous savez faire la différence entre effet d’âge, effet de génération et effet de période, ne vous laissez plus guider par la tentation de juger les différentes catégories de la population selon leur appartenance à telle ou telle génération.

Vous trouvez que les jeunes d’aujourd’hui sont plus intéressés par les loisirs que par le travail ? Peut-être que c’est un effet d’âge : qui n’a pas envie de s’amuser à 20 ans ? Mais il est vrai que dans les années 1990, du temps de nos 20 ans et même si on avait exactement les mêmes envies que les jeunes d’aujourd’hui, on n’osait pas trop le dire. Parce qu’en ayant été socialisés dans période de chômage élevé, on avait intégré qu’il ne fallait pas surtout pas montrer qu’on avait d’autres centres d’intérêt que le boulot !

Vous trouvez que les vieux sont rétifs au changement et pour vous, cela s’explique par un effet d’âge car en vieillissant, on aime moins le mouvement, on se fatigue plus vite et on est guetté par le ralentissement cognitif. Mais peut-être qu’il s’agit d’un effet de génération : quand on a vécu plus de 40 ans dans un monde assez stable, on n’est tout simplement pas préparé à changer. Et en ce cas, quand on vous parle d’agilité, vous pensez aux performances gymniques de Nadia Comaneci davantage qu’aux capacités à slasher au taff !

Vous avez vécu la Seconde Guerre mondiale et vous trouvez que les jeunes d’aujourd’hui se plaignent de pas grand-chose quand ils râlent d’être confinés tout confort pendant le CoViD. Vous diriez que c’est un effet de génération ? C’est peut-être un effet de période, car on ne vit pas les choses de la même façon quand on accède à l’information par les journaux un jour sur deux et quand on croule sous l’information qui déboule du monde entier sur les écrans.

En tout cas, cela mérite que l’on se pose la question !

Marie Donzel, pour le webmagazine Octave

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