Les défis de la “génération sandwich” : quel rôle pour les entreprises ?
Les défis de la “génération sandwich” : quel rôle pour les entreprises ?
Avez-vous déjà entendu parler de la “génération sandwich” ou des “salariés pivots” ? Ces termes désignent les individus qui jonglent avec trois rôles simultanés : celui de salarié, de parent, d’aidant pour leurs parents vieillissants. Pris en “sandwich” entre ces multiples responsabilités, ils incarnent une réalité sociétale encore largement ignorée.
Selon une enquête américaine, près d’un quart des adultes pourraient être concernés par cette situation. Pourtant, près d’un tiers des salariés ayant les caractéristiques d’aidant ne se définit pas comme tel. Les conséquences sur le travail sont pourtant bien réelles : fatigue accrue, surcharge mentale, absences répétées et frein à la progression professionnelle.
Pourquoi ces salariés, de plus en plus nombreux, demeurent-ils invisibilisés ? Quel rôle les entreprises peuvent-elles jouer pour relever les défis que ces situations entrainent sur le travail et la carrière professionnelle ?
Qui sont les salariés de la “génération sandwich” ?
L’expression « génération sandwich », inventée par les démographes anglo-saxons, désigne ces actifs âgés de 40 à 50 ans environ, coincés entre deux niveaux d’obligations : le soin apporté à leurs parents vieillissants (qui concernerait 5,6 millions de français) et celui dédié à leurs enfants encore à charge. Majoritairement féminine, cette population est confrontée à une surcharge mentale, endossant des rôles à la fois de soutien financier, matériel ou émotionnel, parfois au détriment de leur propre bien-être et de leur carrière.
Un enjeu de société : Une charge grandissante face à un soutien insuffisant
Le phénomène de la “génération sandwich” s’explique par une évolution du modèle familial. Aujourd’hui, les familles sont moins nombreuses davantage de générations y coexistent. (quatre voire cinq comparé à deux en 1950). Cette transformation démographique liée à l’allongement des temps de vie s’accompagne d’une augmentation du nombre de grands-parents, qui représentent désormais un cinquième de la population en Europe. D’ici 2060, le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait doubler selon l’Insee et la Dress, mobilisant plus que jamais les “salariés pivots” pour répondre à ses besoins croissants.
Malgré cette réalité pressante, les dispositifs de soutien aux aidants demeurent insuffisants. En 2016, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement a introduit un « droit au répit » pour donner les moyens aux aidants de prendre du repos. Cependant, ce dispositif, tout comme l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) de 2002, ne couvre pas tous les besoins. De nombreux aidants se retrouvent alors confrontés à l’obligation de sacrifier leur temps de travail (et de loisirs), voire leurs perspectives de carrière.
Le “travail du soin” dévalorisé et ses conséquences sur le travail et la santé
Le manque de représentation, de reconnaissance sociale et économique des aidants s’explique en grande partie par le fait que l’aide apportée aux proches relève du « travail du soin », un concept qui désigne les activités de soin et de soutien, historiquement associées aux femmes. Ce travail, bien que crucial pour le fonctionnement de la société, reste non rémunéré, sous-valorisé et la charge mentale associée est invisibilisé, ce qui contribue à perpétuer des inégalités sociales et de genre.
De leur côté, les organisations s’étant historiquement construites autour de la figure du « travailleur idéal », soit un homme sans responsabilités familiales, elles peinent à reconnaître encore aujourd’hui les contraintes du “travail de soin” qui s’attèlent à la vie personnelle. Les normes et les politiques des entreprises favorisent encore souvent indirectement les salariés qui n’ont pas à porter ce travail du soin : à travers des horaires inflexibles, l’absence de congés parentaux adaptés, des comportements et des attentes implicites de surinvestissement dans le travail.
Cette invisibilisation systémique a des conséquences directes sur le travail et la carrière : 62 % des “salariés pivots” estiment que leur situation affecte leur capacité à gérer leur charge de travail, et 38 % jugent qu’elle freine leur évolution de carrière. Les femmes, qui représentent 60 % des aidants selon Sandrine Juin, chercheuse associée à l’Ined, sont alors particulièrement exposées à la réduction de leur temps de travail, à l’interruption de leur carrière ou à l’impossibilité d’accéder à des formations. Ces sacrifices professionnels sont d’autant plus marqués chez les femmes occupant des postes d’employées, une catégorie qui regroupe 57 % des salariées pris en sandwich.
Les conséquences se portent également sur la santé physique et mentale des salariés. Selon une enquête de la DREES (2015), 27 % des Français aidant quotidiennement un parent déclarent souffrir d’anxiété et de stress, tandis que 24 % font état de fatigue physique.
L’usure de compassion, épuisement profond, à la fois physique et émotionnel est alors particulièrement fréquent. Cet état peut mener à la perte de motivation, l’isolement et, à terme, une incapacité à continuer à soutenir autrui. Ces risques sur la santé ont donc de fortes conséquences sur la capacité à travailler.
Comment relever ce défi pour les entreprises et les managers ?
Reconnaitre le travail du soin et les nouveaux enjeux de la génération sandwich est un défi qui s’impose donc aux managers et aux entreprises. Seulement 38 % des “salaries pivots” expriment se sentir actuellement soutenus par leur employeur. Pourtant ceux-ci reconnaissent l’importance de prendre en compte ces enjeux.
Parmi leurs attentes, les salariées souhaitent un aménagement ponctuel de leurs horaires, plébiscitent le télétravail, et demandent un accompagnement spécifique pour leur retour après une longue absence. Ces besoins trouvent un écho chez les dirigeantes : 80 % soutiennent l’idée d’aménagements horaires, tandis que 56 % considèrent nécessaire l’intégration de mesures spécifiques dans les accords d’entreprise.
D’autres mesures plus durables peuvent amener à refaçonner la structure de l’entreprise pour renforcer son inclusivité. Par exemple, la mise en place de services sociaux de l’entreprise telle que les solutions d’accueil pour les enfants, qui seraient profitable à tous les salariés avec enfant. L’accès à une couverture santé complémentaire et prévoyance afin d’octroyer un soutien en matière de santé mentale et une accessibilité aux ressources sociales, peut également profiter à tous les salariés. Enfin, des actions de sensibilisation, notamment des formations pour managers et collaborateurs sont essentielles pour créer une culture de travail inclusive.
Ainsi, agir pour mieux soutenir la “génération sandwich”, c’est non seulement répondre à un enjeu humain et social, mais aussi investir dans une organisation plus durable, plus inclusive et, in fine, qui fonctionne mieux !
Charlotte Foulon, pour le webmagazine Octave
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