L’élégance relationnelle, clé d’engagement et de disruption ?
L’élégance relationnelle, clé d’engagement et de disruption ?
« Les gens pourront oublier ce que vous avez dit, mais ils n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir. »[1] Cette très belle phrase de Carl Frederick Buechner, également attribuée à la poétesse américaine Maya Angelou, s’explique par notre activité cérébrale inconsciente à 90%. Nos émotions précèdent quasi-systématiquement notre pensée. Nous gardons donc la mémoire des sensations, de ce qui nous a rendu heureux ou au contraire, de ce qui a éveillé une émotion négative en nous. Et le marquage de l’émotion, de la sensation, est si fort qu’il conditionne bon nombre de nos comportements futurs.
Comment dès lors penser aux compétences d’aujourd’hui ou de demain sans évoquer l’élégance relationnelle, qui laisse un parfum de soin partout où elle passe ? Comment imaginer des organisations modernes et attractives, qui n’auraient pas fait de l’élégance une aptitude précieuse et différenciante, pour son éthique et le soin porté à l’autre?
L’entreprise parle si peu d’élégance que cela en est étonnant. Le mot élégance décrit à l’origine celui qui élit, qui choisit. C’est bien la volonté derrière l’élégance qui en fait la force. Finie l’élégance naturelle, c’est l’élégance recherchée, consciente, qui prime. Quand le leader d’hier était attendu sur son courage, son aptitude à la prise de risque et au challenge, le leader d’aujourd’hui doit faire preuve de constance, de sensibilité et être doté de compétences fédératrices.[2] Les lignes bougent. Paulo Coelho définissait l’élégance comme une partie de l’âme visible des autres[3]. Une opportunité de partager de manière visible ses principes moraux. Et chose réjouissante, notre cerveau a une capacité mimétique formidable. Il copie ce qu’il perçoit et fait de l’imitation un outil d’apprentissage puissant. Nous pourrions presque supposer qu’une forme d’élégance organisationnelle permettait à chaque leader, et à travers lui, à chaque collaborateur, de développer sa part d’élégance relationnelle. Nous nous plairions alors à nous projeter dans des organisations qui généraliseraient en mimétisme des principes d’élégance et en feraient un critère fondamental d’engagement, et plus encore, de créativité disruptive, d’impertinence subtile et respectueuse ?
L’engagement est une notion complexe à appréhender, à définir et encore plus à contrôler. On en connait néanmoins quelques grands principes structurants, parmi lesquels le concept de contrat moral. Un accord tacite, dans lequel le collaborateur offre le meilleur de lui-même, en échange d’une confiance bilatérale avec son employeur. Il n’existe pas d’engagement sans réciprocité perçue. Et cette réciprocité se joue à plusieurs niveaux : le premier stade prend forme au travers du lien entre le collaborateur et son manager direct. Le second réside dans la relation de confiance entre le salarié et son Groupe, incarné par la direction. Et sur ces deux niveaux, l’élégance est un sésame. Car la confiance conjugue une facette cartésienne à une dimension fondamentalement émotionnelle. L’engagement tire ses ressources dans ce que nous avons de plus instinctifs, de plus émotionnel.
La lutte contre le Covid-19, menace invisible, sursollicite nos capacités émotionnelles. Comme dans tout conflit asymétrique contre un ennemi qui ne se montre pas, l’assaillant agit sur nos émotions de peur et de surprise. Il nous pousse à naviguer à vue, à développer de nouvelles compétences et à puiser dans nos ressources de résiliences les plus enfouies. Le leader est certes actuellement confronté à de gros enjeux d’outillage, de management à distance, de pérennité de ses activités ou d’animation de son collectif. Mais ce qui se joue dans la perception de chacun dépasse ces compétences managériales. Ce qui se joue, c’est un rapport à l’élégance dans ce moment-clé. Choix sémantique, moment opportun, le tact se cache dans les détails. Il sévit lorsque les vies privées et professionnelles se mélangent, dans ces instants où l’entreprise a l’opportunité de devenir un soutien pour ses salariés. C’est sur une mer agitée que l’élégance prend son sens et qu’elle gagne en valeur.
L’après-crise gardera ces traces positives de la délicatesse dans le rapport à l’autre. Ce soin conscient, cette bienveillance situationnelle et authentique. Car l’élégance est en leadership une opportunité de partager ses principes moraux, de manière assumée et visible. Des principes, qui créent un impact vertueux et qui, diffusés à l’échelle d’une organisation, contribuent à répandre une culture du leadership élégant.
Mais sa puissance permet également une forme d’impertinence, qui permet de hacker les systèmes de pensée, les schémas établis. Une impertinence que l’on peut qualifier de raisonnée, et qui, loin d’être une absence de pertinence, casserait les idées préconçues, avec le souci constant du respect de chacun. Car l’impertinence n’est une compétence que si elle s’associe de clairvoyance, d’élégance et d’intuition. La difficulté que rencontre parfois le profil impertinent au sein d’un collectif, c’est qu’il met potentiellement en péril une forme de cohésion. Et par crainte d’abîmer l’harmonie, l’entreprise peut s’effrayer du débat polémique trop vivace. Or, l’impertinence raisonnée ne peut prendre sa forme optimale que lorsque l’organisation autorise la contradiction. Et c’est là l’espace de l’élégance : pour exister et libérer les énergies, la démarche d’impertinence raisonnée doit répondre à des codes sociaux et s’associer de limites. Car pour jouer avec les règles, il faut en maitriser parfaitement les contours et savoir être entendu. C’est là que l’élégance relationnelle fait son entrée majestueuse. Avec grâce, elle permet au débat d’éclore dans ses formes les plus incongrues. Car fort de la solidité du lien humain, chacun peut s’autoriser une nouvelle forme d’audace.
[1] Carl Frederick Buechner
[2] Cf travaux du Pf Remi Finkelstein sur l’engagement et l’exemplarité proximale
[3] Paulo Coelho, Le manuscrit retrouvé, Flammarion
Anthropologue et historienne de formation, Emmanuelle Joseph-Dailly a enseigné aux Etats-Unis et travaillé au Proche-Orient avant de rejoindre le monde du conseil en 2008. Directrice du Lab Recherches et Prospective du Groupe Julhiet Sterwen, elle est également consultante, chargée d’enseignement en Grandes Ecoles et coach en développement personnel. Elle a co-écrit « Les talents cachés de votre cerveau au travail», en 2019 et « Développez l’engagement de vos collaborateurs » en 2018 (Eyrolles). Elle publie régulièrement des chroniques dans la presse, sur les sujets du collectif, des impacts de l’IA, du rapport aux émotions ou encore du leadership.
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