De la gestion du savoir-faire au management de l’aimer-faire

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De la gestion du savoir-faire au management de l’aimer-faire


De la gestion des compétences au management des appétences

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Éprouver du plaisir au travail est, non seulement source d’épanouissement et de performance, mais prend encore plus d’importance en situation de crise sanitaire telle que celle que nous vivons. Cela permet d’atténuer l’anxiété générée par cette situation, de compenser le sentiment de solitude et d’isolement que ressentent de nombreux salariés contraints de collaborer à distance sur une longue période.

Entreprises, organisations syndicales et salariés ont par conséquent tout à gagner à définir une stratégie en ce sens.

1. Bonheur et plaisir au travail n’ont (vraiment) rien à voir

 

Si 80% des salariés français se disent heureux au travail, ils ne sont que 20% à déclarer éprouver du plaisir. Surprenant ? Loin de là puisque bonheur et plaisir sont des ressentis très différents, voire opposés.

D’après le professeur Robert Lustig, neuroendocrinologue, le plaisir est provoqué par la dopamine alors que le bonheur résulte de la production de sérotonine. Or, ces deux substances neurochimiques ont des effets opposés. Alors que la dopamine est un excitant, la sérotonine est inhibitrice et induit un état de plénitude, de relaxation.

Contrairement à la motivation (désir, envie) qui se ressent avant le travail et la satisfaction (contentement, assouvissement) qui intervient après le travail, la sensation de plaisir intervient principalement pendant la réalisation des activités.

D’une certaine manière, ces 4 notions peuvent être différenciées par la formule suivante :

Bonheur au travail (ressenti général) = Motivation (avant le travail) x Plaisir (pendant le travail) x Satisfaction (après le travail).

 

2. Quels sont les leviers de développement du plaisir au travail ?

 

Une étude que nous avons menée pendant plus de huit ans auprès de milliers de personnes met en avant 4 principales sources de plaisir au travail :

  1. La première est liée aux conditions de travail (4%) : qualité et fonctionnalité des locaux et des moyens mis à disposition, modes d’organisation, rémunération, horaires de travail…
  2. La seconde est liée à l’entreprise (8%) : adhésion à la stratégie et aux projets, notoriété, fierté de la marque et des offres, adéquation avec les valeurs…
  3. La troisième est liée à la nature des relations (32%) : convivialité, entraide, solidarité, soutien affectif et technique, coopération, reconnaissance…
  4. La quatrième est liée au contenu de l’activité (56%) : niveau d’autonomie, variété des missions mais surtout les plaisirs ressentis par la réalisation des activités tels que relever des défis, faire plus avec moins, trouver des solutions originales…

Les résultats de ces sondages démontrent que :

  • L’amélioration des conditions de travail réduit la souffrance et contribue au bien être mais n’a que très peu d’influence sur le développement du plaisir au travail.
  • Donner du sens rassure et peut être source de motivation n’a pas d’impact significatif sur le plaisir qu’éprouve un salarié à réaliser ses activités au quotidien.
  • Pour augmenter le plaisir au travail il faut agir sur l’amélioration de la collaboration mais avant tout confier des activités dont la réalisation est source d’épanouissement personnel.

Du savoir-faire (compétence) à l’aimer-faire (appétence)

Si les managers sont en mesure d’évaluer ce que leurs collaborateurs savent-faire, cela ne signifie pas pour autant qu’ils savent ce qu’ils aiment ou aimeraient faire d’autre.

Or, ce n’est pas parce qu’une personne sait traiter une activité qu’elle aime pour autant le faire. C’est la raison pour laquelle il importait de différencier ces deux notions et d’ajouter au concept de compétence (savoir-faire) celui d’appétence (aimer-faire).

Différente de la compétence, l’appétence peut se définir comme une aptitude « naturelle », « facile à mobiliser », « qui procure du plaisir » et qui « mène au succès » qui ne s’apprend pas comme, par exemple, la « débrouillardise » (plaisir à faire preuve d’astuce), « d’originalité » (plaisir à ne pas faire comme les autres) ou de « serviabilité » (plaisir à faire plaisir aux autres).

Si les compétences sont propres à chaque métier, les appétences peuvent se retrouver dans différents métiers comme, par exemple, « l’originalité », « l’esthétisme », « la créativité » et « la conceptualisation » qui sont nécessaires pour exercer avec plaisir les métiers de cuisinier, de paysagiste, de décorateur d’intérieur ou de web designer, ce qui ouvre de nouvelles perspectives en matière de réorientation professionnelle et de retour à l’emploi.

3. Intégrer le plaisir au travail dans vos pratiques managériales : comment faire ?

 

Plus qu’un nouveau concept, l’aimer-faire est avant tout une nouvelle philosophie collaborative qui doit être ancrée au niveau identitaire de l’entreprise comme l’a fait l’entité RTE de Lille en en faisant un de ses principes collaboratifs « Être auteur de son épanouissement ».

C’est à cette condition que les salariés se sentiront autorisés à déclarer officiellement ce qu’ils aiment et n’aiment pas faire, car c’est loin d’être évident.

Si les managers peuvent évaluer les compétences de leurs collaborateurs, l’appréciation des appétences est un processus déclaratif car seules les personnes peuvent identifier ce qui leur procurent du plaisir.

C’est pourquoi, chez Partitio, société informatique toulousaine, les managers invitent leurs collaborateurs à compléter une matrice intitulée « Aimer-Faire / Savoir-Faire » au sein de laquelle ils affectent leurs activités dans quatre cadrans :

  • « Je sais faire et j’aime faire », afin d’identifier sa « Zone de plaisir » ;
  • « Je ne sais pas faire et j’aimerais faire », de manière à prendre connaissance de sa « Zone de désir » ;
  • « Je sais faire et je n’aime pas faire », en vue de révéler sa « Zone de concession » ;
  • « Je ne sais pas faire et je n’aimerais pas faire », pour s’autoriser à évoquer sa « Zone de résistance ».

Cette nouvelle approche permet d’échanger librement sur ce sujet pour certains sensible, voire tabou.

Si les entreprises ont su répondre au besoin de bien-être (général) par l’amélioration des conditions de travail, elles vont devoir appréhender la revendication de plaisir (individuel) autrement car ce défi ne pourra être relevé qu’à la condition d’évoluer d’une relation « parent/enfant » (je sais ce qui est bon pour toi) à une relation « Adulte/Adulte » (dis-moi ce que tu aimerais et je te dirai si je peux répondre à ton attente), ce qui nécessite d’innover en management et d’ancrer une culture de la « Co-responsabilité ».

 

Après avoir exercé des responsabilités de développement des ressources humaines dans 3 secteurs (finance, culture, économique et social), Francis a fondé sa société de conseil en innovation managériale en 2010. Conférencier, coach d’organisation et formateur, il accompagne les entreprises dans leurs projets de transformation ou d’évolution de leurs pratiques et postures managériales.

Fondateur du site internet www.innovationmanageriale.com, il est également auteur de deux livres :

– « Le plaisir au travail : du savoir-faire à l’aimer-faire » – Ed Eyrolles – juin 2018

– « Innovation managériale en action – 50 pratiques managériales innovantes » – Ed Eyrolles – février 2020

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