C’est quoi la confiance en soi ?
Des tables des librairies qui débordent de livres de développement personnel se proposant de « doper sa confiance en soi » aux injonctions à combattre ses complexes et à se donner les moyens de ses ambitions, la confiance en soi préoccupe beaucoup notre époque. Mais ça recouvre quoi exactement, la confiance en soi ? En manquer, est-ce grave ? Peut-on en avoir trop ? Est-ce que la confiance en soi a un genre ? La rédaction du webmagazine EVE fait le point.
Estime de soi & confiance en soi : gare à la confusion !
Estime de soi et confiance en soi sont souvent employées l’une pour l’autre. Or les deux notions ne sont pas interchangeables. Pour les docteurs en psychologie Jean-Pierre Famose et Jean Bertsch, l’estime de soi correspond à une « évaluation globale de sa valeur en tant que personne ». L’estime de soi se rapporte au sentiment d’avoir de la valeur, la confiance en soi renvoie, elle, au fait de se sentir capable de relever des défis à venir.
« Aie confiance… Crois en toi… », dixit le serpent Kaa
Du latin confidere, signifiant « compter sur », la confiance fait référence à l’ancrage personnel que l’on développe : une stabilité, une sécurité intérieure et une quasi-certitude que l’on saura faire face, d’une façon ou d’une autre, aux situations présentes et à celles que l’avenir réserve. On peut alors avancer sans crainte excessive, saisir des opportunités, prendre des risques, s’accorder le droit à l’erreur… En se sentant capable de réussir, mais aussi de rebondir en cas d’échec. En 1999, le psychologue Jean Garneau définit comme suit la confiance en soi : « une prédiction réaliste et ponctuelle qu’on a les ressources nécessaires pour faire face à un genre particulier de situation ». Mais d’où vient cette confiance ?
Confiance et narcissisme bien ordonné
La confiance en soi est un équilibre narcissique. En quelque sorte, une relation lucide à soi-même : ni un·e moins que rien, ni un·e génie intersidéral ; juste soi, avec ses forces, ses failles, sa personnalité en somme, faite de multiples influences et expériences.
Une fois cela posé, on peut affirmer que sous-confiance comme sur-confiance indiquent un ego n’arrive pas à se projeter. Par exemple, si nous sommes affecté·e·s du syndrome de la page blanche, c’est souvent un défaut d’humilité, nous dit l’écrivain Daniel Picouly. Plutôt que de commencer par un écrit médiocre, nous voudrions écrire tout de suite quelque chose de prodigieux.
Le manque de confiance en soi, comme la surconfiance en soi peuvent mener à une myriade de complexes freinant l’élan d’audace, à commencer par le complexe d’imposture. Parce que je me place moins haut (sous-confiance) ou plus haut (surconfiance) que ma valeur réelle, je recule devant l’obstacle, je procrastine, je me braque, je renonce… À ce titre, nous ne pouvons que prêcher Vincent Van Gogh : « Si vous entendez une voix à l’intérieur vous dire : « Tu ne peux pas peindre », par tous les moyens, peignez ; et cette voix s’éteindra ».
Un équilibre qui s’enracine dès l’enfance ?
Le best-seller du psychologue Fitzhugh Dodson, Tout se joue avant 6 ans, a marqué les esprits. L’idée que la confiance en soi se forge dans l’enfance est fortement imprimée et contient sa part de vérité : les instances de socialisation primaire (famille, école…) contribuent grandement à la construction de notre sécurité intérieure. Le sentiment d’être aimé·e, soutenu·e, encouragé·e… alimente la confiance en soi. À l’inverse la dévalorisation, comme la survalorisation d’ailleurs, peuvent générer un manque de confiance en soi.
Cette vision de la confiance en soi primo-acquise est néanmoins dénoncée avec énergie pour ses accents déterministes, par les courants actuels de la psychologie. Des promoteurs de la résilience aux adeptes de la psychologie positive en passant par les tenants de l’école de la troisième vague des thérapies comportementales et cognitives (au premier rang desquels le mouvement ACT), on sait aujourd’hui que la confiance en soi peut se (re)construire et se nourrir tout au long de la vie.
Joëlle Proust, philosophe et directrice de recherche émérite au CNRS entend ainsi la confiance en soi comme une méta-cognition, un « sentiment qui est engendré par l’activité cognitive que l’on a soi-même ». Il s’agirait donc d’un « feedback positif sur l’activité qui fait prédire à l’agent qu’il réussira plus tard encore son activité, ou qu’il va la réussir maintenant ». En alimentant l’envie d’apprendre, la confiance joue donc un rôle indiscutable dans le processus d’apprentissage. Le problème, nous explique Joëlle Proust, est que « cette confiance en soi n’est pas seulement engendrée par la simple capacité de la personne mais aussi par des représentations sociales qu’elle a d’elle-même ou qu’il a de lui-même ».
Déficit de confiance en soi ou autocensure ?
Dans une étude Financi’elles réalisée en juin 2018, les salariées du secteur Banque Finance Assurance sont 61% à déclarer manquer de confiance en elles et 67% à s’autocensurer dans leur ambition. Ce décalage montre bien que si le déficit de confiance en soi participe au phénomène d’autocensure, il n’en est pas l’unique responsable. Patrick Scharnitzky, intervenant à EVE, l’explique bien dans une interview du webmagazine : « Dans un cas, on met en cause le tempérament et la maturité de la personne, dans l’autre, on pose la question du comportement en contexte ».
« Tu manqueras de confiance en toi, ma fille » ?
Une autre étude, celle-ci réalisée en 2016 par l’institut CSA pour le Ministère des Familles, de l’enfance et des Droits des femmes pointe une perception croisée convergente des femmes et des hommes sur les probabilités de réussite des filles et des garçons dans certaines filières d’études : 45% des femmes et 44% des hommes déclarent que les garçons ont plus de chance de réussite que les filles dans les filières technologiques. Même son de cloche dans le sport (46% des femmes et 42% des hommes pensent que les garçons réussissent mieux) ou dans les sciences (31% des femmes et 25% des hommes).
Ces statistiques se font le reflet du vrai risque à déclarer à tout va que les femmes manquent de confiance en elles. Ce risque, c’est celui de la prophétie autoréalisatrice. Cette notion, forgée par Robert King Merton, rejoint l’idée de Joëlle Proust d’un sentiment de confiance dépendant à la fois de l’individu et des représentations sociales qui lui sont assignées. C’est ainsi qu’en attendant moins des filles que des garçons, on les encourage moins et on les fait moins progresser. En réalité, ce n’est pas exactement qu’on attend moins d’elles, c’est que ce qu’on attend d’elles construit ce qu’on appelle du complexe de la bonne élève : il faut être sage, docile, respecter les consignes, patienter (et là, le complexe de Cendrillon pointe son nez !), se faire discrète… Or, ce ne sont pas là les qualités attendues dans le monde professionnel – du moins traditionnel –, lequel reconnaît et récompense davantage qui fait savoir autant que sait faire ; valorise l’esprit d’initiative et n’accorde rien à qui ne demande rien !
Pas de confiance en soi sans confiance globale
La confiance en soi ne fonctionne pas de manière isolée. Marie Donzel, directrice associée AlterNego, l’explique à travers son allégorie du trapèze volant. Pour s’élancer dans le vide, une trapéziste a besoin de trois niveaux de confiance :
- Confiance en soi : Pour lâcher le trapèze auquel elle est accrochée (zone de confort), la trapéziste doit bien sûr avoir foi en ses propres compétences : son agilité, sa précision, sa souplesse, sa concentration… Il faut effectivement, pour déployer son audace, se sentir capable.
- Confiance en l’autre : Mais si elle est sûre à 200% de ses propres capacités, la trapéziste s’élance parce qu’elle compte sur son partenaire pour la rattraper en vol. La figure spectaculaire résulte de ce partenariat équipier, reposant sur la confiance mutuelle et la synchronisation. On ne sort de sa zone de confort qu’à condition d’avoir confiance dans les autres et de ressentir qu’ils ont confiance en vous.
- Confiance en la structure : Les deux acrobates ne s’adonnent à un exercice si périlleux que parce qu’ils ont confiance en l’armature suffisamment robuste et flexible de l’agrès (le cadre) pour résister à l’énergie du geste puissant. Ils savent aussi qu’en cas d’erreur (errare humanum est), le harnais et le filet de sécurité sont là pour éviter la catastrophe ! Appliqué au monde du travail, cela plaide en faveur d’une organisation à la fois sécurisante et souple, qui garantit un socle de droits et des conditions de travail de qualité, pour pouvoir y déployer toute son audace, sa créativité, son esprit d’innovation…
Valentine Poisson & Marie Donzel pour le webmagazine EVE
Share this Post