Le « career catfishing », nouvelle tendance du rapport au travail des jeunes ?

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Le « career catfishing », nouvelle tendance du rapport au travail des jeunes ?


Le « career catfishing », nouvelle tendance du rapport au travail des jeunes ?

 

Vous l’avez trouvé votre perle rare, un vrai « talent », une pépite. La personne a suivi tout le parcours de recrutement, réussi les entretiens les uns après les autres, négocié sa rémunération et ses conditions de travail. Vous n’attendez plus qu’elle signe son contrat pour commencer au plus vite.  Vous l’appelez lundi pour fixer un rendez-vous : personne. Vous rappelez, ça sonne dans le vide. Mardi : vous envoyez un mail. Pas de réponse. Mercredi non plus. Les jours suivants, chou blanc. Votre recrue vient de vous faire un plan « career catfishing ».

Une récente étude britannique propulsée par CVGenius évalue à 19% le taux de candidat qui « ghoste » le futur employeur au moment de signer le contrat d’embauche ou carrément de prendre le poste. Le chiffre monte à 34% chez les moins de 27 ans. De quoi cette pratique est-elle le nom ? Décryptage.

 

Le catfishing, un artefact de l’ère des réseaux sociaux

Le terme « catfishing », que l’on pourrait traduire par « cyberimposture » vient du monde de la cybersécurité. Il désigne l’escroquerie consistant à se faire passer pour une personne que l’on n’est pas, soit via la création d’une fausse identité soit à travers l’usurpation de l’identité de quelqu’un. C’est une technique particulièrement prisée des escrocs pratiquant l’arnaque sentimentale.

Par extension, on parle de « catfishing » pour évoquer la soustraction d’un individu à ses responsabilités morales que permet l’anonymat des échanges sur Internet. On ne craindrait pas grand-chose à raconter n’importe quoi, à s’inventer une vie, à entretenir des relations parfaitement insincères puisque la toile permet d’apparaître ou de disparaître sans grande conséquence. Ainsi, le « catfishing » ne se pratiquerait pas seulement à des fins crapuleuses mais aussi par distraction.

Dans la grammaire des applis de rencontre, le « catfishing » prend le sens de « ghosting » post-séduction : un « match » vous aguiche, vous charme, vous envoûte… Mais au moment de prendre rendez-vous pour se rencontrer (enfin) en vrai, il ne donne plus de nouvelles, voire disparait du site sans vous donner d’explications.

 

La relation employeur/candidat comme un rapport de séduction ?

Il est symptomatique que les recruteurs empruntent un terme au lexique des applis de rencontre pour désigner la situation dans laquelle une recrue les « lâche » sans un mot d’excuses après les avoir convaincus de la pertinence de l’embaucher. Drôle d’effet de dévoilement !

Si la relation employeur/candidat était une forme de transposition du rapport de séduction, alors, un peu comme dans les débuts d’une rencontre, on aurait tendance à s’emballer de part et d’autre, à voir de l’amour-pour-toujours dans l’expression du désir flamboyant pour qu’un matin l’une des deux parties se réveille en se disant « boah, finalement bof, c’est pas le bon ! ».

Il se trouve que la relation employeur/candidat pourrait bien être plus passionnelle qu’il n’y parait au premier abord. En effet, les jeunes qui pratiquent le « career catfishing » déclarent que les employeurs ne se gênent pas pour les « ghoster », sous-entendu « c’est de bonne guerre de leur rendre la pareille ». En effet, selon une enquête conduite par le chasseur de tête Resume Genius, plus de 80% des responsables du recrutement cessent de répondre aux sollicitations des candidats avec qui ils ont été en contact… Principalement parce qu’ils pensent avoir trouvé leur âme-sœur futur employé et ont plus d’énergie à consacrer à le séduire qu’à rester courtois avec les recalés !

Les jeunes « catfisheurs » ont des arguments similaires : ils disent avoir envoyé des centaines de candidatures, passé des dizaines d’entretien et vient un moment où la sélection se resserrant, ils se concentrent sur leur premier choix d’employeur, même s’ils ont déjà dit oui à un deuxième ou troisième choix au cas où…

 

La fin du rapport de force ?

Mais la tendance n’est pas que le fait de la génération Z. Selon l’étude CVGenius, les « Y » pratiquerait le catfishing à hauteur de 24%, les « X » de 11% et les « boomers » de 7%.

Plus surprenant, le nombre de « ghosters » n’est pas vraiment corrélé à l’état du marché de l’emploi. Ce n’est pas parce qu’il y a abondance de jobs disponibles comme c’était le cas pendant les Trente glorieuses que les candidats se montrent plus prompts à snober les recruteurs qui comptent sur eux. Est-ce à dire que le phénomène relève plus de la mutation socio-culturelle que de la conjoncture économique ? Si on avait encore besoin d’une preuve que le « marché » du travail n’est pas tout à fait un marché comme les autres…

Derrière le « career catfishing » pourraient bien se cacher les signes d’un épuisement du rapport de force. On en a marre de jouer à je-te-suis-tu-me-fuis au gré des variations des indicateurs économiques qui placent un coup les talents en position de quémander du travail comme des manants et un coup en position d’être courtisés comme des princes.

Et si on aspirait à une relation plus stable, plus sereine, davantage fondée sur la confiance réciproque ?

 

Que faire pour réduire le « career catfishing » ?

L’ampleur du phénomène pourrait bien changer la donne car c’est loin d’être neutre pour les entreprises. Entre les coûts associés à un process de recrutement qui n’aboutit pas et le manque-à-gagner lié aux ressources manquantes dans les équipes « ghostées » en passant par les effets indirects sur l’engagement des collaborateurs en place, les employeurs se soucient de plus en plus de maximiser leurs chances de confirmer les embauches.

L’approche par les avantages sociaux porte l’accent sur les éléments de rémunération indirecte qui feront préférer un employeur par rapport à l’autre : dispositif de partage de la valeur, complémentaire santé de bon niveau, titres de services, plan d’épargne salariale, prime de vacances etc. Mais cette approche a ses limites : les employeurs de taille équivalente offrent tous un pack d’avantages similaires.

Depuis quelques années, les modalités d’organisation du travail (flexibilité des horaires, télétravail, aides à la mobilité géographique…) entrent aussi en ligne de compte dans la capacité à convaincre les candidats. Mais là encore, l’offre s’uniformise à l’échelle des grandes entreprises.

Mais alors, qu’est-ce qui serait de nature à fidéliser les collaborateurs avant même qu’ils entrent officiellement dans les effectifs ? Le sens, pardi ! C’est-à-dire l’impact positif de l’activité, la durabilité du business model… Mais aussi l’ambiance de travail !

Il est d’ailleurs recommandé d’associer l’équipe aux recrutements de façon à créer rapidement des liens entre les personnes. Il est en effet plus difficile de « ghoster » de vraies personnes avec lesquelles on a engagé une relation, dont on a bien perçu le besoin d’une ressource supplémentaire, avec lesquelles on se projette au quotidien et que l’on a connecté sur LinkedIn…

 

Marie Donzel, pour le webmagazine Octave

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