Comprendre le paradoxe de Jevons

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Comprendre le paradoxe de Jevons


Comprendre le paradoxe de Jevons

 

Pour faire des économies d’énergie, il faut renforcer l’efficacité énergétique des appareils qui consomment de l’énergie. C’est simple, non ? Hummmm… Sur le papier, oui. Dans la réalité, c’est un peu plus compliqué, du fait du paradoxe de Jevons. Un phénomène connu depuis le XIXè siècle dans lequel l’optimisation de l’usage d’une ressource aboutit finalement à une majoration de la consommation globale de cette ressource. Pas de panique, on vous explique !

Jevons et le charbon

Le Paradoxe de Jevons tient son nom de l’économiste britannique William Stanley Jevons. Dans son ouvrage Sur la question du charbon, il met en évidence les effets rebonds de la massification de l’usage des nouvelles machines à vapeur de Watt, plus économes en énergie que les machines de la précédente génération. Parce qu’elles augmentent la rentabilité du charbon, les machines de Watt s’arrachent : tous les industriels en installent dans leur manufacture. Et beaucoup plus de machines qui consomment moins, ça fait toujours plus de charbon brûlé que peu de machines qui consomment beaucoup.

Voilà le paradoxe de Jevons : en optimisant la consommation d’une ressource, on risque d’aboutir à une surconsommation de cette ressource.

Des exemples du paradoxe de Jevons

Il existe de nombreux exemples du paradoxe de Jevons.

On peut par exemple citer l’éclairage artificiel. Plus les dispositifs permettant de s’éclairer sont efficaces sur le plan énergétique, plus le coût marginal de l’éclairage est faible et plus la consommation de lumière artificielle augmente rapidement. Ainsi, le chercheur Darrin Qualman a-t-il mis en évidence une consommation 6000 fois plus importante de lumière artificielle chez un simple citoyen anglais entre les débuts de la fée électricité et le début des années 2000.

Autre exemple : la réfrigération. Au début, quelques ménages ont un seul frigo, très gourmand en énergie. Mais les technologies progressent, l’efficacité énergétique des frigos augmente et pour une même consommation d’énergie, vous pouvez avoir non seulement un frigo plus grand, un second à la cave, mais encore un congélateur et pourquoi pas une cave à vin. Ce qui ne serait rien si pour remplir tous ces grands placards réfrigérés, vous n’étiez pas tentés d’acheter de plus en plus de produits qui doivent respecter la chaîne du froid. Ce qui fait qu’en termes d’impact global, votre consommation d’énergie relative à la réfrigération explose !

Encore un exemple : les déplacements motorisés. Chaque fois qu’on augmente l’efficacité énergétique des véhicules, on observe aussi une augmentation du volume global de kilomètres parcourus… Par les personnes qui se déplacent, mais aussi par les produits. Eh bien oui, les frais de livraison diminuent à mesure que le transport est plus efficace sur le plan énergétique. Et l’on tend alors à consommer plus, et plus de produits qui viennent de plus loin. A l’arrivée, le bilan carbone de notre shopping prend son envol.

Les limites du technosolutionnisme

Le paradoxe de Jevons est un argument régulier pour combattre le technosolutionnisme.

Le technosolutionnisme, c’est la croyance dans la capacité des technologies à résoudre les problèmes… Y compris ceux qui sont créées par les technologies. Dans ce système de croyances, on part du principe que face à la raréfaction des ressources, il faut inventer des process qui optimisent l’usage des ressources. Cela procède du bon sens, mais cela ne fonctionne que si les nouveaux process ne créent pas de nouveaux usages plus importants… Et aussi, si ces nouveaux process ne reposent pas sur l’utilisation d’autres ressources appelées à leur tour à se raréfier.

Dans son ouvrage La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition numérique et énergétique, l’auteur Guillaume Pitron dénonce « le mythe de la voiture électrique », réputée écolo. Il démontre que sur l’ensemble de son cycle de vie, une automobile électrique émet autant de carbone qu’un véhicule diesel. Si le conducteur est tenté de faire plus de kilomètres parce qu’il pense rouler en voiture verte, il se retrouve à polluer davantage que lorsqu’il comptait les centilitres d’essence versés à prix d’or dans son réservoir. Pour l’auteur, le problème est mal posé : vouloir résoudre un problème écologique par des solutions technologiques revient à déplacer un problème de ressource (la raréfaction des sources d’énergie fossile) vers un autre problème de ressource (la surexploitation des sources de métaux rares) sans se pencher sur la vraie problématique de notre relation au déplacement individuel en transport motorisé.

Changer, mode d’emploi…

Finalement, ce que le paradoxe de Jevons pointe, c’est notre préférence pour le changement de niveau 1, selon la classification de Gregory Bateson. L’anthropologue anglais a mis en évidence deux niveaux de changement : le 1er vise à l’homéostasie, c’est-à-dire à rétablir un équilibre grâce à de menus correctifs sans rien faire bouger du fonctionnement du système.

Face aux problématiques d’épuisement des ressources et de changement climatique, nous avons beau avoir conscience de la nécessité de transformer radicalement notre rapport à la consommation, aux déplacements, aux loisirs, au confort, rien n’y fait : nous préférons croire, parfois aux frontières de la pensée magique, qu’une solution « de progrès » va être trouvée… Et que cela va finalement nous permettre de continuer à vivre « comme avant » ou presque.

Et le pire dans tout ça, c’est que nous sommes en quelque sorte récompensés de ne pas changer par le sentiment de performance que génère l’efficacité de nos appareils ménagers, de nos véhicules, de nos smartphones… Récompensés et grisés : tant d’efficacité, ça donne encore plus envie de se déplacer, de consommer, de communiquer… Alors que pour sortir du paradoxe de Jevons, il faudrait plutôt que nous atteignons un certain sentiment de satisfaction de ce que nous avons.

 

Marie Donzel, pour le webmagazine Octave

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