Réinventer la posture managériale avec l’Agilité
Réinventer la posture managériale
avec l’Agilité
Oana Juncu pour le webmagazine Octave
Le manifeste et le manager Agile
La dynamique d’un groupe se construit sur l’équilibre de deux piliers : être ensemble et faire ensemble. Le “faire ensemble” porte le sens de notre contribution et se concrétise par une réalisation commune, reconnue par nos clients et les autres parties prenantes. “L’être ensemble” est structuré par la qualité de nos relations et par la place de chacun dans le groupe. Les entreprises sont encore imprégnées de la forte culture du 20ème siècle qui a défini la prospérité par la productivité. Ce paradigme encourage les organisations, et le pratiques managériales correspondantes, à focaliser sur, et récompenser en priorité la capacité de “faire”. Les enjeux écologiques et sociaux avec lesquels nos entreprises sont confrontées aujourd’hui les font prendre de plus en plus conscience des effets collatéraux d’un focus uniquement sur la productivité ; un monde au service exclusif du faire épuise les ressources, et finit par produire des déchets. L’importance du bien-être au travail est reconnue aujourd’hui comme levier pour sortir de l’épuisement induit par la culture du productivisme. L’Agilité a été introduite, il y a exactement 20 ans, comme un set de principes mettant en avance l’importance de l’équilibre entre la capacité de produire et la qualité de la dynamique relationnelle. Parmi les 12 principes, groupés dans le “Manifeste Agile”[i] , je cite ici trois des plus structurants :
- Interaction entre individus plutôt que l’application des processus
- Collaboration avec le client plutôt que la négociation contractuelle
- Répondre au changement plutôt que suivre un plan
En s’appuyant sur les principes du manifeste Agile, la mission du leader Agile est de restaurer et garder dans l’organisation l’équilibre entre “être ensemble et “faire ensemble”, en nourrissant les deux par sa propre posture.
Agilité avec intention…
Un groupe adhère à un but partagé, ensuite il s’organise pour l’atteindre. Plus le but est clair, plus le groupe sera en capacité de s’auto-organiser. Le “faire ensemble” Agile se structure autour de ce principe. Dans un monde volatile, Incertain, ambigu et complexe (VUCA[ii]), la vision commune est la constante d’ancrage qui permet à une équipe d’évoluer en s’adaptant. Nous parlons souvent de transformation, mais la réalité, le vivant est, par sa propre essence, en transformation continue. Les entreprises, qui sont aussi des organismes vivants, changent continuellement, en réponse à la réalité environnante. Ce n’est pas tout à fait juste de dire que les entreprises d’aujourd’hui doivent « apprendre à s’adapter ». Elles s’adaptent par défaut.
L’entreprise, comme un organisme vivant, réagit à la réalité selon ses acquis, ses connaissances et les habitudes installées. La façon d’agir et s’adapter en réponse à une réalité qui change, est déterminée par la culture d’entreprise, représentée par une collection des croyances et modes de fonctionnement partagés. Dirigée par la culture de l’entreprise en place, une organisation s’adaptera « par défaut ». Différente de « l’adaptation par défaut”, l’adaptation avec intention est une adaptation par choix conscient. Pour sortir de “l’adaptation par défaut” et réussir la transformation, le manager Agile pose l’intention qui la porte. Une intention se concrétise par l’impact que les résultats des équipes auront sur les parties prenantes (clients, partenaires, pairs…). La vision partagée est co-crée par les managers Agile et ses collaborateurs. Si le projet commun évolue, c’est le sens partagé qui ancre le groupe. Parce que, portés par le sens, ils définissent les actions qui vont créer l’impact plutôt que d’être des exécutants des actions qui leur sont affectées, les collaborateurs sont naturellement responsables. Pour le leader Agile, être au service de la co-création de sens est la démarche la plus efficace “d’empowerment” de ses équipes. Toutes les approches à la fois frugales et centrées client comme Design Thinking, Jugaad[iii], Lean Startup… trouveront leur efficacité au service du “faire ensemble”, 3si l’impact de décisions à prendre est relevé par un ensemble des questions posées à chaque occasion : 3www.coemerge.com ”Comment nos décisions et nos actions soutiennent notre but partagé? Comment aident-t-elles à avoir l’impact que nous avons défini?” “Comment vont-elles rendre la vie meilleure aux parties prenantes de notre projet ?” En posant ces questions, le manager Agile en posture de coach, donne la puissance de l’Agilité avec intention, soutien du pilier “faire ensemble” de ses équipes Agiles.
… et l’enjeux de la collaboration en confiance
Faire ensemble dans un univers changeant, demande d’accepter l’état d’esprit d’expérimentation. Le but d’une expérimentation est, par définition, l’apprentissage et non pas la garantie du résultat prédit d’avance. Si l’acceptation de l’échec fait partie de la définition de l’expérimentation, il nous est difficile d’en avoir un regard positif. Le parcours éducatif est construit sur la gratification du succès et la sanction de l’échec. Pour que l’accueil de l’échec ne reste pas seulement déclaratif, le défi du manager Agile est de créer un espace “d’être ensemble”, basé sur la confiance. Parmi les pratiques utiles pour changer le regard sur l’échec, et bâtir un espace de confiance, je cite ici deux de mes favorites :
1. Renoncer à nommer l’échec comme tel. Il est juste “le résultat de notre expérimentation”. Qu’il soit un succès ou un échec, c’est toujours un résultat, la différence vient moins de sa réalité, que du jugement que nous posons sur lui.
2. Evaluer ce résultat avec un état d’esprit qui remplace le jugement par la curiosité.
Cette invitation à la curiosité, portée par le manager Agile, ouvre le champ des nouvelles opportunités par des questions comme :
- “Quels sont les éventuels résultats positifs ? Sur qui ?”
- “Quels sont les apprentissages ? Pour qui ? »
- « Quels sont les résultats négatifs ? Sur Qui ?”
Dans mon expérience, l’exploration ouverte nous révèle souvent que ce qu’on appelle “échec” est plutôt une projection d’attentes, qu’un résultat à impact résolument négatif. Le leader Agile, à l’image d’un facilitateur en intelligence collective, donne le ton de la qualité des interactions entre les membres de l’équipe, en s’engageant à tenir un espace où toutes les voix sont entendues avec bienveillance. Créer de la confiance signifie la donner, non pas la demander. Donner sa confiance est un choix volontaire courageux, et les leaders auront besoin d’être soutenus par leur propres managers dans la posture Agile. Si les managers sont demandés à créer un espace de confiance où les équipes peuvent expérimenter en sécurité, ils doivent bénéficier eux-mêmes d’un espace de sécurité; leur propre hiérarchie est aussi impliquée dans la création d’une dynamique “d’être ensemble” tolérante à l’échec. L’état d’esprit Agile s’apprend à tous les niveaux de leadership de l’entreprise.
Le courage du leader Agile
Le manager Agile est au service du “faire ensemble” et construit la dynamique Agile “d’être ensemble”. Otto Sharmer[iv], dit “Un système ne pourra pas changer sans être conscient de soi-même”. Cette pensée, inspirée du “System Thinking”[v] s’applique aussi aux systèmes vivants qui sont les entreprises, les 5 organisations, les équipes, et à chacun de nous. Le pas le plus important du manager, sur son parcours de devenir un leader Agile, est d’accueillir avec bienveillance ses propres inconforts à renoncer au contrôle et au management descendant.
Être bienveillant s’applique d’abord à soi-même. Construire un espace de confiance passe par montrer ses vulnérabilités, comme attitude d’exemplarité, et cela est la qualité des grands leaders, comme nous apprennent les études de Brené Brown[vi]. Manager par la confiance, plutôt que par la vérification, fédérer autour d’un but partagé plutôt que d’énoncer une stratégie à suivre, la mission du leader Agile est loin d’être facile.
Malgré la reconnaissance du besoin d’Agilité dans le monde VUCA, il nous est difficile d’accepter d’évoluer dans l’incertitude. Cela est normal, notre cerveau est programmé à éviter les dangers, et l’incertitude est souvent liée à la menace de l’insécurité. Montrer ses vulnérabilités dans ce monde incertain et complexe, accepter de ne pas tout savoir, être au service plutôt que d’imposer , sont des actes de courage auxquels tous les niveaux de management sont appelés. Le courage d’adopter l’Agilité avec tous ce que cela implique en termes d’acceptation de l’incertitude comme seule certitude, est un état d’esprit nécessaire à tous les étages.
[i] https://agilemanifesto.org/iso/fr/manifesto.html
[ii] https://www.forbes.fr/management/environnement-complexe-manager-son-organisation-en-mode-vuca/
[iii] https://www.huffingtonpost.fr/navi-radjou/innovation-jugaad_b_5197010.html
[iv] https://www.presencing.org/resource/tools/listen-desc
[v] https://medium.com/disruptive-design/tools-for-systems-thinkers-the-6-fundamental-concepts-of-systems-thinking-379cdac3dc6a
[vi] “BrenéeBrown, “Dare To Lead”, p. 34
Oana Juncu aime dire qu’elle est un “DJ de Leadership Agile”, qui mixe toute pratiques qui aident les individus, les équipes et les organisations à être fières de leur résultats. Elle est fondatrice de sa société cOemerge qui accompagne les entreprises dans leur transformation Agile et les soutient pour implémenter dans leur contexte les dynamiques d’intelligence collective. Elle est membre de l’équipe pédagogique du DU Intelligence Collective de l’Université Cergy-Pontoise, responsable des domaines Agilité et Design Thinking.
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