Le livre du mois : « La rencontre », par Charles Pépin
Après être passé par Sciences Po et HEC, Charles Pépin, par ailleurs agrégé de philosophie, est aujourd’hui romancier, philosophe et journaliste. Auteur de plusieurs livres à succès (Les vertus de l’échec, La joie…), il collabore avec les revues Psychologies magazine et Philosophie magazine et intervient régulièrement dans plusieurs émissions radiophoniques et télévisuelles. Il vient de publier son 9ème essai aux Éditions Allary.
Nous avons lu avec bonheur cet essai, La rencontre. Il entremêle souvenirs personnels, citations ou encore, exemples d’amitiés et d’amours célèbres dans une déambulation philosophique que Charles Pépin conduit avec grâce. La puissance et la beauté de la rencontre nous sont révélées afin de nous inviter à rester en éveil pour ne pas rater « l’autre ».
Cet essai est une déambulation philosophique, car c’est bien aux côtés de Charles Pépin que nous naviguons le temps d’une lecture-découverte qui nous ouvre les portes de certaines rencontres sans lesquelles des œuvres qui font partie de notre quotidien n’existeraient pas. Charles Pépin nous guide en poussant pour nous les portes du mystère de la création. Comme un ami, il reste auprès de nous pour mettre en lumière tel propos de Hegel, pour nous raconter comment l’Étranger de Camus a changé sa vie, pour nous dire que sans le féminisme, le courage et la passion d’Émilie du Châtelet pour les sciences, Voltaire n’aurait pas été le même homme. À la lecture de l’essai, nous rencontrons donc aussi un auteur et un philosophe. Grâce à sa présence, ressentie à travers chaque page, l’objet du livre, la rencontre, s’éclaire de lui-même.
Car l’acte de « rencontrer » ses semblables est naturel à l’homme, animal social. Il fait partie pour nombre d’entre nous du quotidien, bien qu’aujourd’hui, le Covid et les confinements en ont raréfié les possibilités. Pour autant, les rencontres continuent, mais toutes ne bouleversent pas, ne contiennent pas les germes d’un possible qui va nous développer personnellement, nous révéler à nous-même, donner un sens à notre existence, à notre travail, ou plus prosaïquement, à notre quotidien. Alors, comment faire les bonnes rencontres ? À cet égard, le hasard existe-t-il ou est-il à la fois un mythe et une idée reçue ? La philosophie (étymologiquement, l’amour de la sagesse) prend tout son sens à travers les réponses à ces questions. Elle nous permet, en nous laissant guider par Charles Pépin, de reconnaître en tout premier lieu ce qu’est une rencontre véritable, qui trouble, « qui fissure nos carapaces ».
Pour l’auteur, si une singularité en croise une autre sans être troublée, c’est la preuve qu’il n’y a pas rencontre. Il nous engage alors dans une lecture qui nous ouvre à une (re)définition personnelle et authentique de la rencontre en trois temps :
Les signes de la rencontre
Par manque de temps, de disponibilité, d’optimisme ou de curiosité, nous pouvons aisément passer à côté d’une belle rencontre. Les Rolling Stones auraient-ils existé si à 17 ans, Keith Richards n’avait pas rencontré Mick Jagger sur le quai d’une gare de la banlieue de Londres et si, après un bref échange, ils ne s’étaient pas donné rendez-vous pour reprendre ensemble des standards de rythm’n blues ? De même, si elle n’avait pas remis en question son hétérosexualité pour se laisser surprendre par Emma, quel visage Adèle, l’héroïne du film d’Abdellatif Kechiche, nous aurait-elle donné à voir ? La trame de la rencontre se joue dans le désir intense et réciproque de découvrir l’autre, nous murmure Charles Pépin. Et les signes qu’une rencontre est bien en train de se produire sont nombreux. Trouble, reconnaissance mutuelle, curiosité de l’autre, envie de se lancer ensemble, découverte d’un univers inconnu, changement intérieur, sensation de s’ouvrir à de nouvelles responsabilités, et enfin, point culminant, impression d’être vraiment vivant sont autant de manifestations qui montrent que la rencontre est sous nos yeux. Mais se laisser surprendre afin de ne pas écarter de nouvelles possibilités de rencontres de nos vies nécessite aussi d’aborder l’autre avec un nouveau regard.
Les conditions de la rencontre
En matière de rencontre, nous ne pouvons pas nous en remettre simplement au hasard, assure le philosophe, mais nous pouvons tout mettre en œuvre pour faire du hasard un allié. Comment ? Tout d’abord, en sortant de chez nous ! Pour Épicure, c’est d’ailleurs en prenant pleinement conscience du caractère contingent du hasard qu’on apprécie le fait qu’il puisse bien faire les choses. En d’autres termes, la rencontre se provoque. Le fait de se rendre disponible et de savoir mettre entre parenthèses de trop fortes attentes nous incite à la rendre plus authentique, plus vraie et à tomber le masque en laissant l’autre entrevoir la puissance de notre vulnérabilité.
La vraie vie est rencontre
Cette citation de Martin Buber ouvre la troisième partie de l’ouvrage de Charles Pépin. Le philosophe nous propose alors cinq différentes lectures de la puissance de vie contenue dans la rencontre : anthropologique, existentialiste, religieuse, psychanalytique et enfin, dialectique. Le philosophe convoque notamment Sartre, Freud et Hegel pour aborder la rencontre. Sartre, adversaire de la psychanalyse, parle d’intersubjectivité pour nous rappeler qu’à travers les autres, nous devenons nous-mêmes. Freud, quant à lui, défend le concept de sublimation de la libido, qui ne s’exprime pas seulement dans la création artistique, mais également dans certains sentiments élevés envers une autre personne. Hegel, enfin, en maître de la dialectique, affirme qu’il faut tout simplement rencontrer ce qui n’est pas soi pour devenir soi.
Charles Pépin, pour conclure, nous invite à oser être soi pour mieux rencontrer l’autre, pour chercher à le (re)découvrir, aussi, afin de l’inscrire dans une rencontre chaque jour « continuée ». Il nous rappelle que seuls, nous ne sommes rien et nous amène à jeter un regard plus philosophique sur notre intelligence émotionnelle. À l’heure où télétravail et isolement relationnel peuvent marquer nos quotidiens, il est plus qu’essentiel et enthousiasmant de se (re)dire qu’une seule rencontre peut bouleverser une vie… crise sanitaire ou pas !
Charles Pépin, La rencontre, Allary Éditions, 2021
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