Pour innover, passons à l’intelligence collective !

Octave Culture & Change, Générations


Pour innover, passons à l’intelligence collective !

Article initialement publié sur le webmagazine EVE. Propos recuellis par Valérie Hernandez Amalou & Marie Donzel.

 

Entretien avec Claude Philoche, Responsable de la division Business & Innovation Oversight au sein de l’entité Global Energy Management qui assure l’interface d’ENGIE sur les marchés de l’énergie.

Claude Philoche a initié chez ENGIE une démarche d’organisation alternative, pour développer une culture de l’intelligence collective, propice à l’innovation.

 

 

Qu’est-ce qui vous a amené à changer les méthodes de travail dans votre division ?

Chacun.e peut faire le constat qu’une culture trop hiérarchique et trop prescriptrice ne permet pas l’innovation. Parce qu’elle freine l’initiative, comprime l’imagination, restreint le champ de l’expérimentation et surtout ne permet pas aux individus qui ne sont pas désignés par leur statut ou leur fonction comme des preneurs de décisions, de s’emparer de leurs propres idées pour les partager avec les équipes.
Or, tout le monde peut et doit pouvoir innover. La caractéristique même de l’innovation, c’est qu’elle arrive le plus souvent d’où on ne l’attend pas. Fort de cette conviction (et aussi, personnellement très peu désireux de jouer les chefs omnipotents et infaillibles qui décident de tout), j’ai voulu mettre en place une organisation du travail qui rendrait possible l’hybridation des idées de tou.te.s dans un contexte d’écoute et de dialogue.

 

Quels sont les fondamentaux de cette organisation « alternative » que vous avez mise en place ?

Le premier des fondamentaux, c’est le travail d’équipe. Ce n’est pas un mot-valise, c’est véritablement faire en sorte que l’on répartisse mieux les projets, les tâches et les compétences de façon à ce que chacun.e soit là où il peut apporter une plus-value. De façon aussi à ce que nous soyons en phase avec la réalité du monde.
La diversité est une dimension essentielle de cette vision de l’équipe car les expériences et les points de vue de chacun.e sont utiles pour comprendre ce qui se passe dans notre environnement et pour répondre aux besoins de nos clients et partenaires qui sont eux aussi divers.
Ensuite, il y a 3 piliers de l’engagement individuel et collectif : l’autonomie, le sens et l’auto-organisation.

 

Comment avez-vous procédé pour mettre en place de nouvelles façons de travailler en équipe en adéquation avec ces fondamentaux ?

En 2016, nous avons commencé par une expérience en holacratie, avec une quarantaine de personnes. Après quelques mois, nous avons décidé de continuer avec un petit groupe de personnes suffisamment passionnées par le sujet pour se former et prendre le rôle de catalyseurs. Il s’agit pour ces acteurs très motivés par la transformation d’œuvrer à sa propagation et à son accélération par capillarité.
Le changement ne passe pas par le déploiement mais par l’adoption spontanée : aussi, il faut pouvoir faire se rencontrer le besoin de changer, qui vient des personnes et du collectif, avec une proposition d’expérimentation sécurisée (c’est-à-dire où nous nous donnons le droit de prendre des risques, d’échouer, et donc d’apprendre).

Quel est le contenu de cette proposition ?

Dès qu’on utilise les grands mots, holacratie, sociocratie, etc., ça paraît très complexe alors que ce sont des choses assez simples. Le changement de paradigme à opérer le plus délicat, c’est d’intégrer que le fonctionnement de l’organisation n’est plus la seule affaire du management ou des RH, mais celle de tou.te.s.
A partir de là, chacun.e peut prendre responsabilité sur la façon dont le collectif fonctionne, chacun.e est investi.e de la possibilité de proposer des modifications, et un processus de décision par consentement permet d’adopter ou rejeter les suggestions émises. Sachant que le consentement implique que si je dis non à quelque chose, je dois proposer une alternative qui respecte le sens.

 

Ce sont des règles assez simples, en effet… Mais qui peuvent malgré tout susciter des inquiétudes, non ?

Le changement en tant que tel est une inquiétude : entrer dans l’inconnu est inconfortable, et il est bien légitime de se préoccuper de ce qui va se passer pour soi (son évaluation, sa rémunération, sa progression…) dans le nouveau contexte.
L’inquiétude est parfois forte chez des managers qui peuvent se sentir menacé.es dans leur position et craindre de perdre du pouvoir. Ma croyance est que le pouvoir n’est pas une quantité qui se conserve comme l’énergie ; en réalité, plus nous collaborons plus nous créons de pouvoir.
Il y a aussi la crainte chez certain.es du chaos et de l’anarchie. C’est lié, je crois, à notre forte culture française du contrôle-commande (nous avons tellement été conditionné dès l’école qu’il y a ceux qui savent et ceux qui écoutent, ceux qui décident et ceux qui exécutent…) à laquelle nous pouvons substituer une culture consistant à mieux poser les problèmes : nous savons tou.te.s à peu près valider les bonnes réponses à une question posée dans un environnement dont nous connaissons les règles du jeu ; apprenons maintenant à poser les bonnes questions dans des environnements en pleine mutation.
La démarche de transformation contient la prise en compte de ces inquiétudes, non pour les balayer, mais pour en faire autant d’opportunités d’identifier ce à quoi nous sommes attachés au fond, et comment nous pouvons obtenir des bénéfices identiques, voire supérieurs, dans un autre cadre.

 

Quels sont les bénéfices justement ?

Le premier bénéfice manifeste, pour les individus comme pour le collectif, c’est la libération de l’esprit d’initiative que permet quasi-immédiatement l’auto-organisation. Quand vous pouvez passer rapidement de « j’ai une idée » à « j’essaye » en ayant des équipes et des compétences disponibles pour s’engager à vos côtés, c’est bien plus mobilisant que lorsque vous devez soumettre votre idée à une hiérarchie qui vous répondra plusieurs semaines ou plusieurs mois après, en vous adressant des conditions et des contraintes… D’ailleurs, dans un cadre rigide comme celui-là, très vite, vous avez de moins en moins d’idées. Alors qu’en favorisant l’intelligence collective, non seulement vous avez des idées en permanence, mais vous en donnez aux autres et vous inspirez des leurs.
Le bénéfice induit de cet esprit d’initiative libéré, c’est donc clairement l’augmentation de la capacité d’innovation.
Je crois aussi que cela va conduire à une amélioration du bien-être au travail. Nous en avions l’intuition, nous l’avons vérifié assez tôt dans la démarche en menant une enquête auprès de plus de 400 personnes qui travaillent aujourd’hui chez ENGIE avec cette intention d’intelligence collective. J’espère que les mesures successives le confirmeront.

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